De nombreuses études ont souligné l’influence du quartier de résidence des populations sur différents indicateurs de santé tels que leur santé physique et mentale, leurs recours aux soins et leurs comportements alimentaires et addictifs [1 ; 2]. Il en ressort que les quartiers possèdent des attributs, des « structures d’opportunités » [3] qui peuvent favoriser ou endommager la santé de leurs habitants.

Différents chercheurs critiquent cependant l’approche qui consiste à ne formuler les problèmes qu’en fonction des lieux où ils se manifestent : ils réaffirment la nécessité de considérer l’espace comme un produit social puisque le contexte local dans lequel un individu grandit, travaille, habite et se déplace est étroitement lié à sa position sociale [4]. Cette critique du « spatialisme » [5] fait écho au débat  autour de la distinction entre effets de composition et effets de contexte qui s’est généralisée avec l’utilisation des modèles statistiques de régressions multiniveaux et qui a conduit à définir bien souvent l’individu et son contexte comme deux entités indépendantes [6-8]. Or, les populations ne restent pas passives face à leur environnement : par leurs pratiques, elles peuvent notamment modifier leurs façons de se saisir ou non de ses opportunités [9]. Pour mieux appréhender les interactions entre les populations et les ressources sociales et physiques de leur environnement, une approche relationnelle des effets de lieux sur la santé constitue une piste de recherche féconde [10].

Cette approche relationnelle s’est récemment développée avec la prise en compte des pratiques spatiales des populations pour éviter de tomber dans le piège d’une approche exclusivement locale [11] qui réduirait les espaces de vie des populations à leurs seuls espaces de résidence. Des études empiriques récentes ont ainsi explicitement pris en compte la mobilité quotidienne des populations et leur espace d’activité pour identifier les ressources avec lesquelles elles sont en contact au cours de leurs déplacements quotidiens [12-19]. Certains auteurs ont également proposé de compléter les mesures d’accessibilité traditionnellement centrées sur l’espace (place-based accessibility) par des mesures d’accessibilité centrées sur les individus et sur leurs pratiques spatiales (people-based accessibility) [20-22].

Au-delà de la prise en compte des pratiques spatiales dans la ville, une approche relationnelle des effets de lieu sur la santé conduit à réfléchir à la notion de quartier [23-26]. Le quartier est tantôt défini comme une portion de ville, un espace de proximité, un lieu de vie et un cadre d’action [27] mais en tant qu’espace cognitif, un quartier commun à tous n’existe pas puisque chaque individu a sa propre représentation du quartier dans lequel il réside [28-30]. Alors que les analyses portant sur les ressources accessibles au sein du quartier de résidence mobilisent le plus souvent des zones prédéfinies (mailles administratives, carroyages réguliers, ou zones circulaires « autour » des lieux de résidence), des études récentes ont souligné la nécessité de tenir compte de la variabilité de l’espace approprié par les habitants afin de ne pas sous-estimer l’ampleur des inégalités d’accès aux ressources locales [31 ; 32] et d’améliorer les efforts de planification en aménagement du territoire et d’interventions en santé publique [33].

Antoine Fleury Paris LaDefense
Benoit Thierry Montreal Centre

Références

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  3. Ellaway A, Macintyre S. 1996. Does where you live predict health related behaviours? A case study in Glasgow. Health Bulletin 54:443-446
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  6. Macintyre S, Ellaway A. 2003. Neighborhoods and Health: an overview. In Neighborhoods and Health, ed. I Kawachi, LF Berkman, pp. 20-42
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  11. Cummins S. 2007. Commentary: investigating neighbourhood effects on health-avoiding the ‘local trap’. International Journal of Epidemiology 36:355-357
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